vendredi

Hard Working Man ( 01-06 Nov. 2010)


 Karragullen, Westren Australia State, Australia

    A 6 heures tapantes, nous nous éveillons en même temps que le soleil afin de commencer notre premier job australien. Ce dernier consiste à couper les pèches en trop en n’en laissant qu’une seule par branche pour d’une part alléger les branches d’un poids trop important pouvant les faire rompre et d’autres parts, d’optimiser la croissance des pèches restantes. Ce boulot, on ne peut plus intéressant, se déroule le long de rangées d’arbres fruitiers de près de quatre mètres de haut. Pour effectuer convenablement le travail, nous utilisons une machine agricole particulière. Cet engin, de modèle italien bien évidemment, possède trois plateformes distinctes qui peuvent se surélever indépendamment les unes des autres afin d’atteindre toutes les parties des arbres sans avoir à bouger. C’est ainsi que nous prenons place à bord de la machine, chacun sur sa plate forme, pour être former par Monsieur Angelo himself. Il nous donne, tout d’abord, nos horaires de travail, inflexibles et réglées sur-mesure comme dans les usines. Nous commencerons à 7h tous les matins et débaucherons à 16h le soir, du lundi au samedi sauf le vendredi où nous terminerons à 15h30, jour de paye oblige. Nous avons le droit, bien entendu, à 15 minutes de pause à 10h précises et 30 minutes pour déjeuner le midi. Nous travaillerons ainsi à peu près l’équivalant de 50 heures par semaine et seront payés 18 dollars de l’heure, auxquels seront retranchées les différentes taxes de cotisation. Après ces explications d’ordre comptable, nous entrons directement dans le vif du sujet :
  
     « Bon je vais vous expliquer ce que vous aurez à faire. Tout d’abord, comment vous appelez vous les garçons (Angelo aime nous parler en nous appelant à chaque fois "boys", dénomination relativement affectueuse s’il en est) ?
            - Je m’appelle Quentin (prononcez Couènetine).
            - Et moi c’est Guillaume (prononcez Guillaume).
            - Jim ?
            - Non, Gui-llau-me.
            - Je t’appellerai Jim maintenant. »

     C’est sur ces débuts prometteurs qu’Angelo commence par nous expliquer comment démarrer l’engin et faire fonctionner les multiples mannettes qui le commandent. Le bestiau se révèle très maniable mais possède par contre une pointe de vitesse proche d’un escargot malade qui aurait du mal à digérer la dernière feuille de laitue qu’il viendrait d’engloutir. En gros, c’est un peu comme si nous chevauchions un pétaure mécanique mais sans avoir besoin de fredonner une chanson paillarde pour le faire avancer ! Angelo nous dévoile ensuite la partie la plus importante de notre travail : la coupe des pèches surnuméraires. La pèche idéale à laisser sur une branche est celle qui se trouve être la plus grosse, la plus belle et surtout la plus proche possible de la jointure de la branche au tronc. Il faut donc faire un compromis (trade-off pour les puristes) entre la taille, la qualité et la distance relative au début de la branche pour choisir cette pèche idéale, sans oublier de bien repérer les ramifications possibles de petites branches qui ajoutent un facteur supplémentaire, au combien déterminant, dans la résolution du problème. Vu sous cet angle, couper des fruits n’est peut-être pas aussi aisé qu’il n’y parait de prime abord ! M’enfin, très vite nous nous en remettons à une technique ancestrale maintes fois éprouvée dans de nombreux domaines divers et variés : le pifomètre. D’ailleurs, nous nous en sortons plutôt pas mal pour le coup même s’il arrive parfois que, dans un excès d’enthousiasme, nous enlevions par inadvertance toutes les pèches de la branche. Alors dans une logique que ne renieraient pas le Chapelier fou et le Lièvre de mars, nous essayons de compenser sur les branches d’à côté en laissant des pèches par-ci par-là !


La ligne verte

 
 Braquage  l'italienne


Jim se désaltère


On s'dépêche !!!! Kapishe ?



      Après une demi heure à enlever les pèches avec nous, Angelo s’en va et nous laisse en totale autonomie. Il se fiche de la rapidité à laquelle nous allons (dans une certaine mesure) pourvu que nous fassions bien notre travail. Néanmoins, nous pensons qu’il sera facile de terminer rapidement les allées… Que nenni ! Le travail est extrêmement fastidieux et répétitif et nous nous rendons très vite compte qu’il nous faudra beaucoup plus de temps que prévu. En gros pour terminer une rangée de 150 arbres des deux côtés, nous mettons 5 jours complets, soit un travail effectif de plus de 8O heures pour une seule personne ! Nous passons d’ailleurs tellement de temps à voir ces drupes toute la journée que la nuit, lorsque nous fermons les yeux, des images mentales de pèches nous apparaissent pour ne plus nous lâcher.

     En fin d’après-midi après avoir fini notre boulot, nous intégrons un ensemble de préfabriqués dans la propriété d’Angelo qui va devenir notre lieu de vie pendant toute la durée du job. Les locaux sont relativement miteux mais fonctionnels. Nous avons ainsi, auprès des vergers, un préfabriqué qui nous sert de cuisine. A l’intérieur, une table, des chaises et des fauteuils de qualités diverses, allant du à peu près propre au franchement sale, nous permettent de nous loger très convenablement. De plus, nous avons une gazinière et un réfrigérateur en état de marche. Nous allons enfin pouvoir enrichir notre nourriture de produits frais que nous ne pouvions conserver dans le van. C’est donc avec joie que nous apprécions, entre autres, le retour en force du beurre salé qui égaye les papilles au petit-déjeuner et comble notre centre de la satiété par son gras enchanteur. Seul l’évier pose un léger problème vu qu’il n’y a pas d’eau qui s’écoule du robinet. Rien de bien méchant puisqu’il nous suffit de faire quelques mètres pour se procurer de l’eau potable à la pompe. Juste à côté, un long préfabriqué fait office de dortoir. Il se découpe en de petites chambres au charme désuet et au confort spartiate. Un lit une place et trois crochets au mur en guise de porte-manteau meublent les pièces les mieux loties. En tout cas, ça va presque nous faire tout drôle car c’est la première fois depuis le début du voyage que nous ferons chambre à part ! Lorsque nous ouvrons les portes de nos appartements respectifs, une vieille odeur nous rappelant indubitablement celle que prend une serviette de piscine mouillée après être restée une semaine au fin fond du sac de sport, flatte notre nez délicat et un nuage de poussière, tellement dense qu’il empêcherait presque les rayons du soleil de continuer leur trajectoire rectiligne, s’élève dans les airs pour rester en suspension durant d’interminables secondes. Asthmatiques s’abstenir ! Une bonne aération de quelques heures ne sera pas superflue. Et lorsque le crépuscule survient, le lieu a des accents de décors de films d’horreurs de séries Z avec un budget digne des meilleurs films d’Ed Wood. Nous pouvons en sus observer chaque soir dans la cuisine des bestioles en tout genre telles que des araignées, des fourmis, des lézards ou encore des arthropodes aux allures parfois très inhabituelles. Malgré tout, nous ne boudons pas notre plaisir d’avoir un toit où dormir et un espace plutôt confortable pour se prélasser, d’autant plus que cela nous est offert gratuitement. Et cerise sur le gâteau, à quelques centaines de mètres de là, nous avons accès à des toilettes et surtout à une douche avec de l’eau chaude, ce qui est un plus non négligeable lorsque l’on se retrouve crade et tout collant après une rude journée de boulot. 


Cuisine hélas !

Jim se roule une jaune






     Nous n’avons plus travaillé depuis Mix buffet (un des leaders français de l’agroalimentaire) en juillet dernier, si bien que se lever tôt pour aller bosser et prendre un rythme routinier ne se font pas sans quelques difficultés. Néanmoins, cela reste plus agréable de travailler à l’air libre dans la campagne que de couper du museau de porc ou de remuer des pâtes dans une immense cuve toute la journée au fin fond d’un gigantesque sous-sol. D’ailleurs le temps est de la partie avec un ciel sans nuage et un soleil radieux. Peut-être un peu trop car nous nous retrouvons vite fait à travailler sous un véritable cagnard. De temps à autres, Angelo ou son fils, que nous nommerons par défaut Angelito, se ramènent sur leur quad afin de voir si nous respectons bien les horaires et si notre travail est de qualité…

     Arrivé le vendredi après-midi, Angelo nous donne rendez-vous devant sa maison pour la remise de la paye. Nous nous pointons chez lui à l’heure avec les autres personnes travaillant pour lui, c'est-à-dire une bonne dizaine d’asiatiques. Là, étant satisfait de notre travail, il nous propose de prolonger et nous nous empressons d’accepter. Il nous apprend également qu’un intermédiaire, un dénommé Phills, va arriver pour nous remettre l’argent sous forme de chèques. Il faudra le suivre ensuite jusqu’à la grande ville la plus proche, Armadale, pour qu’il nous montre où l’on pourra retirer la thune en liquide. Cette manière de procéder et la façon dont Angelo nous l’annonce nous rappelle immédiatement les anciens films sur les gangsters italo-américains. Surtout que juste après nous avoir dit ça, Phills débarque avec sa vieille voiture pour s’arrêter juste devant nous. Il baisse la vitre, laissant découvrir un visage au teint buriné et aux yeux rougis par l’alcool et la clope, nous tend sa main calleuse en signe de salut et nous indique de le suivre bien gentiment. Nous le suivons ainsi avec notre van jusqu’à Armadale sur un parking d’un drugstore. Puis, nous faisons le reste du chemin à pieds jusqu’à la West Bank où nous pourrons retirer le blé. La discussion, lancée par Phills durant le trajet, tourne principalement autour de la ville de Paris et des jolies filles qui la composent. Après cette intéressante discussion culturelle, nous entrons enfin dans la banque, prêts à toucher notre premier salaire dûment gagné. La banquière sort un tas de billets puis le montant tombe : 644 dollars par tête de pipe pour seulement 42 heures de taf ! Cela n’est pas pour nous déplaire car nous ne pensions pas gagner autant. Si nous arrivons à faire cinq semaines de travail de suite, comme nous l’espérons, cela nous permettra de constituer un bon petit pactole avant de repartir. Nous gardons tout de même conscience dans un coin de notre tête que nous pouvons nous faire virer aussi vite que nous avons été engagés. Toutefois, ceci ne nous empêche pas de tripper durant le chemin du retour sur notre entrée au sein de la familla d’Angelo Ghilanducci. Nous nous imaginons déjà en train de grimper les échelons de la respectabilité et de la loyauté dans le cœur de ce Vito Corleone de campagne sans pour autant terminer pitoyablement le nez dans la poudre, la mitraillette à la main et tirant sur tout ce qui bouge avant de finir cannés dans la fontaine d’un palace démesuré ! La réalité nous rattrape cependant rapidement et s’avère du coup beaucoup moins réjouissante puisque nous devons travailler le samedi toute la journée avant de pouvoir profiter de l’unique jour de repos de la semaine qui nous est offert.
      Ce jour de repos arrive à point nommé. Nous en profitons pour retourner à Fremantle (a.k.a. Freo) et partir à la chasse à la baleine par l’entremise d’un bateau de plaisance affrété sur le port. Point de capitaine Achab à son bord pour nous indiquer où se trouvent ces majestueux cétacés mais à la place un scientifique qui prend les traits d’une ravissante jeune chercheuse. Le soleil s’extirpe timidement des nuages et un vent frais fait soulever lentement les vagues d’une mer d’un bleu saphir tandis que nous naviguons à quelques encablures de la côte, fendant l’écume à la recherche d’un passage fréquenté par de nombreuses baleines. Ces dernières, et notamment les baleines à bosse, remontent au printemps la côte ouest australienne pour mettre bas plus au nord. C’est donc pendant cette période que nous avons le plus de chance de les apercevoir. Lorsque les premiers spécimens pointent le bout de leur bosse, c’est la cohue sur le bateau. Notre jeune scientifique se transforme alors en commentatrice sportive zélée en nous donnant des « Deux baleines à dix heures ! » par-ci, des « Regardez les jets d’eau qui sont expulsés par les évents… Si c’est pas magnifique ! » par-là ou bien encore des « Waouh ! Vous avez vu cette superbe queue blanche » etc. Elle prend à cœur son boulot et ça s’entend. Enfin bon ça se comprend, car le spectacle auquel on assiste est vraiment impressionnant. Nous pouvons observer à loisir plusieurs groupes de baleines à bosse qui se meuvent pleines d’aisance, malgré un poids tonal conséquent, dans cette immensité bleue. Parfois, un baleineau fait son apparition, toujours collé à un adulte (qui n’est autre que sa môman), avant de replonger avec grâce dans le monde du silence. Et nous prenons ainsi plaisir à chercher avec des yeux pleins d’espoir la prochaine baleine qui va émerger. Un jet d’eau au loin, une masse informe en mouvement sous l’eau et c’est tous nos sens qui se mettent aux aguets. Au loin et derrière les feux d’artifices d’eau jaillissant des évents, une baleine saute hors de l’eau et retombe dans un retentissant "splash". On se croirait presque à bord de La Calypso, un bonnet rouge vissé sur la tête et le sentiment d’assister à une scène magique de la vie sauvage. De retour sur la terre ferme en tout début d’après-midi, nous restons nous relaxer à Freo jusqu’à la fin de la journée avant de retourner conquis dans nos pénates. Le retour dans le monde du travail après cet intermède marin risque d’être dur.


On dirait que la chaleur australienne a fait rétrécir Rodie

La classe australienne : la limousine 4x4. "Ils mènent des vies de milliardaiiiiiiire alors que les pauuuvres mènent des vies de cons. Aujourd'hui les pauvres ont gagnés. Alors crêve, ordure !"














2 commentaires:

  1. Coucou Jimmy (pour la touche attendrissante) et Qwent !! Pensez vous que vos baleines à bosse sont les mêmes que j'ai pu voir à La Réunion plus tôt cet été ?? Qu'elles descendraient australement ?
    bibis

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  2. Yo ! Je ne pense pas que ce soit les mêmes car les notres venaient du Sud-est de l'australie et ça fait loin pour des baleines de ralier la Réunion-Australie aussi vite. Enfin, je me trompe peut-être! En tout cas c'est une question bien intéressante et si t'as la réponse fait nous en part.Et quand t'étais en Patagonie, y'avait aussi des baleines à bosse non? Peut-être que c'est leur trajet : réunion-Cap de bonne espérance-australie-indonésie.

    Tcho

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